|
Le 22 juin 2020
Faire en sorte qu’il y ait un après-covid-19
La crise de la covid-19 que nous traversons a causé jusqu’à présent une véritable hécatombe dans les CHSLD du Québec – et ce n’est pas fini –, là où, de toute évidence on n’a pas su ou, plutôt, on n’a pas pu la gérer efficacement. Mais on ne doit pas s’y tromper : le virus que l’on sait n’aura été qu’un élément déclencheur de la crise en faisant l’effet d’une allumette lancée dans un baril de poudre demeuré discret jusque-là. Pour éviter qu’un tel désastre ne se reproduise, il faudrait se demander pourquoi il ne manquait que le covid-19 pour que se produise une catastrophe innommable dans les CHSLD, notamment. Or j’ai bien peur qu’on n'aille jamais jusqu'au fond des choses dans ce dossier.
Gérer un message plutôt que la crise
Pour le moment, il me semble que nos dirigeants québécois s’affairent davantage à gérer des messages plutôt que la crise, ce à quoi ils excellent au point de nous la faire oublier.
Le principe consiste à faire passer le premier pour le second, c’est-à-dire le message pour la crise elle-même. Et lorsqu’on réussit à opérer la substitution, alors on se retrouve dans un monde de « vérités alternatives », comme aux États-Unis, de sorte que, malgré notre incapacité à gérer la crise, quelqu’un capable de bien gérer des messages peut sembler avoir constamment les deux mains sur le volant.
Ainsi, au commencement de la crise on nous a demandé de garder les deux yeux bien rivés sur une courbe seulement, une courbe représentant l’évolution du nombre des décès quotidiens dus à la covid-19. En ordonnant le confinement de la population, en imposant le respect de gestes barrières, etc., et en gardant le cap, on obtiendrait l’aplatissement de la courbe en question, une fois atteint son pic dont on s’efforçait de déterminer la date avec une précision mathématique. Les paris étaient alors ouverts. Et si la crise tardait à se résorber, c’était à cause de malheureux imprévus faisant l’effet du sable dans l’engrenage. Avec le temps, toutefois, des journalistes ont commencé à montrer l’ampleur du chaos qui prévalait dans les CHSLD, ce qui a obligé nos dirigeants à recourir en toute hâte à une vérité alternative de rechange.
D’un chaos indescriptible à un « beau problème » à gérer
Le gouvernement a pu reprendre la main en détournant l’attention du drame humanitaire en train de se produire en CHSLD. En projetant directement l’éclairage sur un manque inexplicable de 10 000 préposé(e)s aux bénéficiaires dans les seuls CHSLD, il faisait même d’une pierre trois coups. Non seulement, il pointait du doigt la cause probable de la crise, mais il indiquait en même temps comment la régler une fois pour toute. Il s’agissait tout bonnement d’augmenter substantiellement les salaires des préposé(e)s afin de rendre leur métier plus attrayant. Et troisièmement, le Premier ministre de s'excuser publiquement de ne pas l’avoir fait dès son arrivée au pouvoir, rendant aussitôt ses prédécesseurs responsables de la crise actuelle parce qu’eux, les salaires des préposé(e)s, ils ne les auraient pas relevés quand c’était le temps. Eh bien, chapeau, Monsieur le Premier ministre !
Et pour bien marquer le coup, une formation est désormais offerte à tous les candidats et candidates qui voudront obtenir ces 10 000 postes de préposé(e)s disponibles, formation pour laquelle ils recevront 21 $ de l’heure durant trois mois. En conséquence, le gouvernement doit maintenant gérer la trop grande popularité de son programme d'embauche de préposés. La crise ? Mais quelle crise ?
Et quid de la poudre à canon ?
Quoi qu'il raconte, la seule chose qui compte aux yeux de l’État québécois consiste à contenir les coûts de fonctionnement de son système de soins de santé, de son système d’enseignement supérieur, etc., idéalement en réussissant à mettre le plus de monde possible à temps partiel. S’il y parvenait, premièrement l’État sauverait beaucoup d’argent en engageant deux ou trois personnes pour faire le travail de chaque employé(e) actuellement à temps plein. Et cela ferait même diminuer le taux de chômage de façon spectaculaire, comme c’est le cas aux États-Unis. Deuxièmement, l’État remporterait le gros-lot en laissant se dégrader les conditions de travail dans tous les systèmes concernés, et ce, jusqu’à la limite de l'inhumain. Des gens qui ne travailleraient plus que deux jours par semaine auraient alors amplement le temps de récupérer physiquement, tout en ayant la peur au ventre, avant de s’en retourner passer deux autres jours en enfer. Et ainsi de suite.
Si je sais tout cela, c’est parce que durant sept ans, il y a plus de 30 ans de cela, j’ai changé des milliers de couches dans un centre d’hébergement pour personnes en fin de vie, j’ai couru après mon ombre partout dans l’Hôpital Notre-Dame de Montréal et, à cause de ma connaissance des arts martiaux, j’ai été engagé dans un hôpital psychiatrique, là où j’en ai eu besoin pour garder des criminels psychopathes. Or, en ce temps-là, nous, les préposé(e)s, nous disions déjà de notre travail qu’il était épuisant, humiliant et dangereux1. Et d’après ce que je comprends, c’est encore et toujours le cas. Il n'aura suffi que de l'arrivée du covid-19 dans les parages pour obtenir un véritable désastre.
Bref, si notre gouvernement ne veut pas en entendre parler de la poudre à canon, alors il n’y aura pas d’après-covid-19. Oubliez-ça. Et au lieu de progresser, on se retrouvera à la merci d'élus plus habiles à gérer des messages qu'à gouverner le Québec.
1 Lamarre, Jules (2020) Le préposé de Notre-Dame. Paris, L’Harmattan
Jules Lamarre, Ph. D. |